Les voix du terrain
Bienvenue aux Voix du terrain, une série de balados produite par le Centre de collaboration nationale de la santé autochtone (CCNSA). Le CCNSA met l’accent sur la recherche innovante et les initiatives communautaires visant à promouvoir la santé et le bien-être des Premières Nations, des Inuits et des Métis au Canada.
Balado - Les Voix du terrain 23 – une discussion sur Vers un avenir meilleur : santé publique et populationnelle chez les Premières Nations, les Inuit et les Métis
La pandémie mondiale de COVID-19 a fait ressortir et aggravé les iniquités en santé publique et a, du même coup, attiré l’attention sur la nécessité absolue de définir pour les Autochtones une vision d’avenir en santé publique placée sous le signe de l’équité et du mieux-être. Dans cet épisode, le Dr Evan Adams et madame Margo Greenwood parlent de l’élaboration et du contenu d’un rapport collaboratif et présentent ainsi un idéal pour la santé publique des Premières Nations, des Inuits et des Métis. Le rapport commandé ne fait pas que compléter le rapport de l’administratrice en chef de la santé publique de 2021, qui définit un idéal pour la santé publique; il accorde aussi une place centrale aux savoirs autochtones. Le document intitulé Vers un avenir meilleur cristallise un idéal multidimensionnel formulé par les peuples autochtones d’un bout à l’autre du pays.
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Biographies
Dr Evan Tlesla ll Adams est un acteur et médecin salish de la Côte de la Première Nation Tla’amin près de Powell River, en Colombie-Britannique (Canada).
Evan a obtenu son doctorat en médecine à l’Université de Calgary en 2002, puis a effectué sa résidence au programme de médecine familiale autochtone de l’hôpital St. Paul, à Vancouver (Colombie-Britannique). Le Dr Adams est titulaire d’une maîtrise en santé publique (2009) de l’Université Johns Hopkins, à Baltimore (Maryland). Il a été la première personne à exercer les fonctions de médecin-conseil en santé autochtone au Bureau du directeur de la santé publique du ministère de la Santé de la Colombie-Britannique de 2007 à 2012. Il a été directeur adjoint de la santé publique de la Colombie-Britannique de 2012 à 2014. Il a exercé ensuite les fonctions de médecin-chef de la Régie de la santé des Premières Nations de 2014 à 2020, et dans le cadre d’un échange de postes, il est actuellement médecin en chef adjoint de la santé publique à la Direction générale de la santé des Premières Nations et des Inuits de Services aux Autochtones Canada, où il relève du Dr Tom Wong.
Madame Margo Greewood, Ph. D., leader académique du Centre de collaboration nationale de la santé autochtone (CCNSA), est une érudite d’ascendance crie qui possède des années d’expérience axées sur la santé et le bien-être des enfants, des familles et des collectivités autochtones. Elle est professeure au programme d’études sur les Premières Nations et au programme d’éducation à l’Université du Nord de la Colombie-Britannique et a exercé les fonctions de vice-présidente, Santé autochtone, Northern Health (régie de santé du Nord), jusqu’au printemps 2022. Madame Greenwood a reçu de nombreux prix pour ses accomplissements en éducation de la petite enfance et en politiques de santé, dont la Médaille du jubilé de la Reine (2002), le prix Academic of the Year Award of BC (2010), le Prix national d’excellence décerné aux Autochtones pour son travail en éducation (2011) et, dernièrement, elle a eu l’honneur d’être nommée officière de l’Ordre du Canada (2021).
Transcription
Julie Sutherland : Dr Adams, pouvez-vous nous raconter la genèse du rapport Vers un avenir meilleur?
Dr Evan Adams : L’administratrice en chef de la santé publique, la Dre Theresa Tam, produit un rapport chaque année et celui qu’elle a préparé pour 2021 était intitulé Une vision pour transformer le système de santé publique du Canada. C’est donc un document visionnaire au moyen duquel on nous a demandé, en tant qu’experts en santé publique, d’imaginer un système qui n’existe pas encore et s’il nous était possible de créer un grand système. Et la COVID nous a montré que notre système de santé public pouvait être amélioré. Alors on nous a présenté cet idéal pour que nous le précisions.
De plus, la Dre Tam sait qu’on ne fait pas forcément une place aux personnes racisées et aux populations marginalisées dans le système de santé publique existant, que les problèmes de santé publique, surtout ceux comme la COVID, nous affectent de manière disproportionnée et qu’en tant que premiers peuples du Canada, en tant que peuples autochtones, notre inclusion, nos difficultés en matière d’équité, dans l’accès au système ou dans les résultats, sont aussi des problèmes centraux. Margo Greenwood et moi avons donc entrepris de demander aux experts en santé publique autochtones ce qu’était leur idéal pour un système de santé publique autochtone au Canada. Nous nous sommes adressés surtout à des responsables de la santé publique autochtones qui sont médecins et nous avons demandé à des employés de la santé publique membres d’organisations autochtones nationales s’ils voulaient contribuer à définir notre... notre idéal.
Heureusement, ou malheureusement, nous pensions que notre rapport ne serait qu’un très petit complément à celui de la Dre Tam. Toutes les personnes qui ont contribué à la rédaction ont fini par écrire, disons, une ou deux pages. Et nous leur avons demandé de traiter d’à peu près tous les aspects de la santé publique qui, selon elles, étaient vraiment importants et elles en sont venues très vite aux sujets dont elles voulaient traiter : les déterminants sociaux de la santé chez les Autochtones, des questions comme les données et la gouvernance et d’autres questions semblables, ce qui survient dans les questions quotidiennes ordinaires de santé publique.
Mais ce que ces personnes ont écrit n’était pas ordinaire du tout. En fait, leurs textes mettent le lecteur et les acteurs de la santé publique au défi de faire mieux, d’être inclusifs et d’intégrer les Autochtones dans l’organisation de la santé publique en général. Alors oui, c’était... c’est vraiment un recueil d’essais ambitieux.
Julie Sutherland : Madame Greenwood, le rapport souligne l’idée que la prise en compte d’un ensemble de déterminants de la santé facilite une vue holistique de la santé publique pour les Premières Nations, les Inuits et les Métis. Pouvez-vous expliquer un peu à nos auditeurs comment le contenu du rapport soutient cette idée?
Margo Greenwood : Selon moi, il soutient cette idée de plusieurs façons. Lorsqu’on pense aux déterminants de la santé, on m’a souvent demandé ce que cela signifiait exactement. Pour moi, la réponse la plus simple, sans détour, est que les déterminants de la santé sont tous les éléments qui ont un impact dans notre vie. Par exemple, ce que nous mangeons, les conditions de logement dans lesquelles nous vivons, le fait d’avoir accès ou non à des soins de santé, à l’éducation. L’existence ou non de services destinés à la petite enfance, pour les familles ayant des enfants en bas âge. Tout cela a un impact dans notre vie. On emploie souvent le mot « holistique » quand on parle de ce genre de méthode parce que ce sont tous ces éléments réunis qui ont un impact sur nous.
Selon moi, la prise en compte des déterminants de la santé aide également à montrer au grand jour les iniquités que vivent quotidiennement les membres des Premières Nations, les Inuits et les Métis au Canada. Et je pense que pour cela, cette méthode est vraiment importante. Le rapport et ses auteurs ont vraiment commencé à se pencher sur cette méthode et à se demander comment nous pouvons apporter le changement dans notre vie. Ils se sont concentrés sur des sujets comme l’autodétermination, le savoir autochtone, les méthodes fondées sur les forces et les éléments de la résilience. Nous sommes résilients depuis des centaines d’années, alors nous avons de nombreuses forces dont nous pouvons tirer parti.
Le rapport comporte plusieurs chapitres qui traitent principalement de l’autodétermination. C’est le thème de nombreux chapitres du document Vers un avenir meilleur. Quant aux trois organisations autochtones nationales – l’Assemblée des Premières Nations, l’Inuit Tapiriit Kanatami et le Ralliement national des Métis – on peut voir que le thème des approches fondées sur les distinctions et le thème de l’autodétermination imprègnent leurs textes.
D'autres chapitres traitent aussi de l’autodétermination pour les Premières Nations, les Inuits et les Métis et du regard qu’ils jettent sur l’avenir de la santé publique. Par exemple, dans son texte, Marcia Anderson envisage l’autodétermination, tout comme Shannon McDonald dans son document sur la gouvernance par et pour les Premières Nations. Ce sont vraiment des thèmes importants, surtout en ce qui concerne la population autochtone urbaine, c’est-à-dire les membres des Premières Nations, les Inuits et les Métis vivant dans les villes. Sarah Funnell utilise l’expression suivante dans son texte : « rien sur nous, sans nous ». Là encore, on a une autre perspective sur l’autodétermination et on commence vraiment à le voir lorsqu’on lit le texte de Danièle Behn Smith sur les données et l’autodétermination en cette matière. Le chapitre qu’elle a écrit, intitulé « Les données et la perspective de la grand-mère », réchauffe le cœur parce qu’il est ancré, comme tous les chapitres, dans les valeurs et les savoirs autochtones. Selon moi, le chapitre écrit par Janet Smylie fait fond aussi sur ce thème car son auteur se penche sur les évaluations et les interventions relatives au bien-être des membres des Premières Nations, des Inuits et des Métis. En outre, elle nous présente vraiment un ensemble – les caractéristiques de ce qui pourrait être une évaluation et une intervention idéales relatives à l’état de santé. C’est vraiment important car les peuples autochtones – les Premières Nations, les Inuits et les Métis – luttent pour l’autodétermination dans leur vie, surtout dans le secteur de la santé publique.
Le reste du document Vers un avenir meilleur , nous apprend des choses sur des sujets particuliers mais en même temps, approfondit vraiment le sujet. Mentionnons, par exemple, le racisme, ses répercussions dans notre vie, dans chaque dimension de la vie des peuples autochtones. On ne peut pas les sous-estimer, vous savez. La santé mentale, l’équilibre mental sont vraiment importants, surtout au lendemain de la pandémie de COVID 19, nous le voyons bien. Cela saute aux yeux, tout simplement. Et je pense que la COVID a vraiment exacerbé des réalités existantes dans ce domaine pour les Premières Nations, les Inuits et les Métis.
Un chapitre très important est consacré aux maladies infectieuses, qui, selon moi, sont un problème de longue date pour de nombreuses personnes mais surtout pour les peuples des Premières Nations, les Inuits et les Métis. Je pense que cette partie du document décrit bien certaines réalités vécues par ces peuples.
Enfin, on ne peut jamais faire abstraction de l’environnement. Les changements climatiques sont aujourd’hui flagrants, en pleine face de tout le monde. L’environnement, le lien, le lien spirituel avec la terre, notre bien-être spirituel est fondé sur nos liens avec la terre et nos relations avec tous les êtres qui font partie de cet écosystème.
Le document nous fait suivre un chemin qui passe par l’autodétermination, les données, l’équilibre mental, le racisme, l’environnement et nous fait bel et bien voir d’une manière holistique certains domaines où on aimerait voir du changement dans l’avenir.
Il importe de souligner que de nombreux auteurs, de nombreuses personnes que je n’ai pas eu la chance de nommer ont contribué à l’élaboration du rapport Vers un avenir meilleur , mais sachez qu’on peut trouver leurs noms dans le document. Alors je vous encourage à faire le premier pas, à lire ce document et à prendre contact avec ces auteurs si vous avez des questions à poser.
Julie Sutherland : Dr Adams, selon vous, où cet idéal mène-t-il? Comment peut-on en faire une réalité?
Dr Evan Adams : Eh bien, dans l’état actuel du système de santé publique, on peut faire beaucoup de choses qui pourraient favoriser l’inclusion des peuples autochtones et des responsables de la santé publique autochtones. L’une d’elles est d’habiliter les populations autochtones, probablement par l’intermédiaire de leurs dirigeants, dont leurs organisations nationales, à avoir des responsables de la santé publique et à exercer des fonctions dans le domaine de la santé publique, des fonctions essentielles comme la collecte de données, l’établissement d’une gouvernance des données, la conclusion d’ententes d’échange de données, pour qu’on puisse établir une correspondance entre les identifiants autochtones, par exemple, et les ensembles de données provinciaux, notamment pour le cancer ou les codes de diagnostic des médecins. Ou carrément renforcer et améliorer ce que j’appellerais les fonctions standard dans le domaine de la santé publique.
On pourrait aussi habiliter les responsables de la santé publique à faire partie des soins primaires pour que les deux volets soient réunis, de sorte qu’on ne se contente pas d’observer la population mais qu’on en prenne soin aussi. On pourrait aussi les habiliter à étudier les déterminants sociaux de la santé autochtone. Il existe des déterminants sociaux très précis qui sont propres aux Autochtones et qui ne suscitent pas beaucoup d’intérêt. Des déterminants comme notre accès à notre culture et à notre langue, l’autodétermination, les effets de la colonisation. Ce sont des choses dont le système de santé publique en général ne s’occupe pas. De plus, les questions comme le pouvoir politique ou le discours politique ou la volonté politique sont des déterminants de la santé publique autochtone, selon moi.
Ensuite, il y a des éléments de nature très délicate qui, nous le savons, affectent les Autochtones sur le plan des déterminants sociaux de la santé et dont on pourrait mieux s’occuper, tout simplement. Des éléments comme le racisme, l’antiracisme. On pourrait avoir un meilleur système de contrôle des maladies transmissibles. Nos chefs disent déjà, depuis au moins une vingtaine d’années, que l’équilibre mental est une priorité. Il y a encore des choses possibles à faire dans ce domaine. Ne serait-ce qu’avoir des données sur l’équilibre mental, évaluer les programmes en faveur de l’équilibre mental. Ce n’est là que du travail de base, vraiment. Je suis d’avis également qu’il faut intégrer les connaissances autochtones, les savoirs traditionnels, dans le domaine de la santé publique. L’organisation sanitaire a été inventée sans l’apport des peuples autochtones.
Nous pouvons donc autochtoniser la santé publique, la décoloniser et faire en sorte que l’organisation sanitaire nous soit plus utile à nous, les Autochtones. Il faut se demander comment le système peut servir aux peuples autochtones. Cela suppose de discuter avec les peuples autochtones. Il ne s’agit pas seulement de l’organisation sanitaire mais également des activités de recherche sur la santé publique autochtone ou des universitaires du milieu de la santé publique autochtone. Notre réflexion sur les Autochtones, sur la santé publique autochtone pourrait être affinée. Elle pourrait... elle pourrait être étoffée un peu mieux. Ensuite, je pense que les points de vue autochtones – par exemple notre façon de voir la terre et nos territoires, de voir la planète, de voir les changements climatiques – qui sont tout à fait singuliers, holistiques, fondés sur nos savoirs, pourraient être étudiés et intégrés aux rouages de la science et de la santé publique.
Enfin, bien entendu, on pourrait établir un lien entre la santé publique autochtone et la santé publique canadienne pour que les deux systèmes évoluent ensemble, de manière distincte mais ensemble, en ayant un lien, plutôt que d’avoir un système de santé publique qui domine la vie des peuples autochtones et dans lequel les Autochtones ne peuvent pas se faire entendre. Cette vieille façon de faire doit tout simplement disparaître.
Julie Sutherland : Dr Adams, madame Greenwood, merci beaucoup d’avoir pris le temps de vous entretenir avec moi aujourd’hui de cet idéal inspirant et réaliste de santé publique pour les Premières Nations, les Inuits et les Métis du Canada.
Pour écouter d’autres balados de cette série, consultez « Les voix du terrain » qui se trouvent sur le site Web du Centre de collaboration nationale de la santé autochtone, à ccnsa.ca. La musique de ce balado est l’œuvre de Blue Dot Sessions. Il s’agit d’une œuvre en usage partagé, utilisée sous licence Creative Commons. Pour en apprendre davantage, consultez le www.sessions.blue (lien en anglais).
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